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ARTICLE DE JUILLET-AOUT 2024 - Le type de lien entretenu entre le joueur et son avatar peut-il être prédictif d'une addiction aux jeux vidéo?

Avec près de 5 milliards de joueurs par jour, et la présence d’éléments immersifs rendus possibles par l’essor des avatars et des mondes virtuels, le jeu vidéo en ligne connait un engouement majeur, sans cesse renouvelé. La connexion qu’un joueur peut entretenir avec son avatar peut apporter des effets positifs comme négatifs, et cette étude explore le risque d’usage problématique des jeux vidéo en ligne en fonction de ce lien entre le joueur et son avatar.

Pourquoi avoir fait cette recherche ?

Il existe de nombreux facteurs favorisant le développement d’un trouble du jeu vidéo en ligne, qui peuvent être des facteurs intrinsèques liés aux individus, des facteurs liés à l’environnement, mais aussi des facteurs liés aux jeux eux-mêmes, en particulier certains attributs attractifs des jeux vidéo.
Par exemple, les avatars (le personnage incarné par le joueur dans le monde numérique du jeu vidéo) permettent aux joueurs d’adopter des identités reflétant souvent des aspects refoulés de leur psychisme. La relation et l’attachement que les joueurs ressentent vis-à-vis de leurs avatars, appelés le «user-avatar bond » (UAB), peuvent s’établir sur 3 modes différents : l’identification (fusion de la perception de soi avec l’avatar), l’immersion (les besoins de l’avatar dans le jeu précèdent les pensées du joueur), ainsi que la compensation (compensation des défauts d’apparence et de caractère du joueur à travers l’avatar).
Récemment, plusieurs recherches ont mis à jour le fait qu’un degré élevé d’UAB pouvait représenter un facteur de risque de développer un trouble du jeu vidéo. Par exemple, une étude menée en 2020 avait identifié trois profils de joueurs (différenciés, identifiés et fusionnés) dont le niveau de problèmes liés au jeu vidéo était croissant, et en particulier très élevé pour les joueurs « fusionnés » (ceux présentant les plus forts niveaux d’immersion et de compensation, et pour lesquels le lien avec l’avatar était le plus fort). Toutefois, ces études étaient transversales (menées à un instant T) et ne prenaient pas en compte l’évolution de ce lien dans le temps.

Quel est le but de cette recherche ?

La présente étude a souhaité identifier le degré de risque de développer un trouble du jeu vidéo de différents profils de joueurs de jeux vidéo basés sur l’UAB, en prenant en compte l’évolution au cours du temps de ce lien.
L’objectif était d’abord de reproduire les recherches précédentes en tenant compte de l’évolution au cours du temps, en identifiant les différents profils évolutifs d’UAB parmi des joueurs adolescents et adultes. Un autre objectif était d’examiner le rôle joué par ces différents profils dans le développement potentiel d’un trouble du jeu vidéo, et d’en déduire les implications que cela peut avoir en terme de stratégies de traitement et de prévention.

Comment les chercheurs ont-ils fait pour répondre à cet objectif ?

Les participants (565 joueurs de jeux de rôle en ligne, âgés de 12 à 68 ans ; 84% d’adultes, 16% d’adolescents) ont dû répondre à deux enquêtes en ligne à deux moments distants (instant T et 6 mois plus tard). Deux questionnaires étaient notamment intégrés à l’enquête : 1/ le questionnaire UBA-Q a été utilisé pour identifier les différents types de liens qu’un joueur peut avoir avec son avatar : identification (« mon avatar et moi-même sommes les mêmes »), immersion (« je pense parfois à mon avatar quand je ne joue pas »), et compensation (« je préférerai être mon avatar que moi-même »), et 2/ le questionnaire IGDSF-9 évaluant le degré de sévérité du trouble de jeu vidéo. Des analyses en classe latente ont été menées pour identifier les profils de joueurs sur la base des réponses au questionnaire UAB-Q à l’instant T et à 6 mois, puis ces profils ont été comparés sur les scores à l’IGDSF-9 et les différents modes de connexion de l’UAB-Q (identification, immersion et compensation).

Quels sont les principaux résultats à retenir ?

Quatre profils ont été identifiés :

  • Le profil 1 (« identified gamers » : « les compétences de mon personnage sont similaires aux miennes, mais meilleures tout de même ») présentait une forte identification et un fort engagement dans le jeu, ce qui laisse penser que ces joueurs ont une forte connexion avec leur avatar, qui est utilisé majoritairement pour les besoins du jeu plutôt que pour compenser des déficiences dans la vie réelle,
  • Le profil 2 (« compensated gamers » : « être comme mon avatar pourrait m’être utile dans certaines situations de ma vie réelle ») présentait moins d’identification mais plus de compensation, suggérant une autoreprésentation idéalisée pouvant conduire à un sentiment d’inadéquation similaire au profil des joueurs fusionnés retrouvé dans les recherches précédentes,
  • Le profil 3 (« detached gamers » : « mon personnage a des compétences à l’opposé des miennes ») est un profil nouveau par rapport aux recherches antérieures, caractérisé par une distance psychologique plus forte avec l’avatar qui est perçu comme fondamentalement distinct du joueur et avec une fonction purement utilitaire pour le jeu,
  • Enfin, le profil 4 (« differenciated gamers ») présentait des connexions psychologiques minimes sur toutes les dimensions explorées, et notamment une immersion et une compensation très basses, suggérant l’absence d’attachement notable à l’avatar, ni pour compenser des déficiences en vie réelle, ni dans l’expérience de jeu.

La présente étude a démontré une relation significative entre un attachement plus élevé à son avatar, et notamment une identification et une compensation plus fortes, et la sévérité du trouble du jeu vidéo, que ces résultats soient observés à l’instant T ou 6 mois plus tard. Les profils 1 et 2 avaient ainsi davantage de risque d’avoir des symptômes d’addiction aux jeux vidéo. Cette observation est étayée par des recherches antérieures qui suggéraient que la personnalisation de l'avatar dans les jeux de rôle favorisait l'exploration de caractéristiques idéalisées, renforçant ainsi le lien compensatoire et approfondissant l'engagement dans le jeu (Burleigh et al., 2018 ; Kang & Kim, 2020).
Cette étude met en évidence le potentiel de l'UAB à agir comme un phénotype numérique (ensemble d’informations collectées sur des plateformes numériques, afin de fournir des mesures continues et écologiques non biaisées pouvant servir à la prédiction clinique de troubles de santé mentale notamment). Ceci ouvre la voie à l’utilisation de l’UAB comme un indicateur diagnostic précoce du risque d’addiction aux jeux vidéo, et à de possibles stratégies de traitement adaptées. Il est ainsi suggéré par les auteurs d'adapter la thérapie cognitivo-comportementale aux émotions, pensées et comportements des joueurs liés à la compensation émotionnelle et à l'idéalisation. Une autre application pratique de ces résultats serait de mettre en place des mesures préventives pour limiter le mode compensatoire d’attachement à l’avatar, par exemple en demandant aux développeurs de jeu de minimiser les écarts entre l’avatar et l’identité réelle des participants.

Les points-clés à retenir

- Quatre profils de joueurs ont pu être mis en évidence, basé sur leur connexion avec leur avatar : identifiés, compensés, détachés et différenciés.
- Le type de lien entretenu entre le joueur de jeu vidéo et son avatar semble être prédictif du développement potentiel d’une addiction aux jeux vidéo, en particulier lorsque l’identification et la compensation par l’avatar sont plus fortes.
- L’identification de ce profil de connexion à l’avatar pourrait permettre de détecter une potentielle addiction de manière précoce, et également servir pour mettre en place des mesures de prévention et de soins adaptées.

Plus d’informations sur cette recherche :

Taylor Brown, Raffaela Smith, Daniel Zarate, Mark D.Griffiths, Vasileios Stavropoulos
Exploring user-avatar bond profiles: Longitudinal impacts on internet gaming disorder; Computers in Human Behavior, October 2024

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