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ARTICLE DE NOVEMBRE 2024 - Regarder et désirer ? Les effets de la consommation de streams de jeux de hasard et d’argent sur les envies de jouer
La prolifération des plateformes de streaming numérique a fait du visionnage de jeux vidéo une forme de divertissement très accessible. Sur des plateformes comme Twitch, initialement dominées par des diffusions de jeux vidéo, les jeux de hasard et d’argent (JHA) ont émergé comme l’une des catégories les plus regardées, surpassant même des jeux vidéo très populaires. Bien que Twitch ait mis en place des restrictions sur les diffusions liées aux JHA, celles-ci restent omniprésentes. De nouvelles plateformes de streaming, comme Kick, ont réussi à attirer un public adepte des JHA en évitant de telles restrictions.
Pourquoi avoir fait cette recherche ?
Ces dernières années, le streaming (lecture en ligne et en continu, sans téléchargement, de contenus multimédias) a explosé au sein des pratiques numériques, en particulier chez les jeunes. Les auteurs ont réalisé cette recherche pour explorer les effets psychologiques du visionnage de streams de JHA, un phénomène en pleine expansion dans le contexte des plateformes de streaming numérique comme Twitch et Kick. Ces plateformes ont popularisé le contenu lié aux JHA, malgré les controverses croissantes concernant les risques associés à cette pratique, notamment pour les jeunes et les personnes déjà vulnérables au jeu problématique. Bien que des politiques aient été mises en place pour limiter la diffusion de contenus liés aux JHA, ces streams restent omniprésents et soulèvent des questions importantes sur leurs impacts potentiels. Jusqu'à présent, les débats se sont principalement concentrés sur les jeunes et les implications légales ou morales. Cependant, les auteurs se sont intéressés aux adultes déjà exposés aux JHA, car ces derniers pourraient être particulièrement sensibles aux stimuli présents dans les streams.
En effet, les streams de JHA sont caractérisés par des éléments visuels et émotionnels puissants, tels que des mises élevées, des gains de jackpot, et des pertes importantes, qui sont susceptibles de déclencher des envies de jouer. Selon des théories comportementales, ces stimuli peuvent renforcer des associations conditionnées (lien fort qui s’établit progressivement entre une stimulation spécifique, ici les vidéos de jeu, et une réponse comportementale, ici l’envie de jouer) liées à la dépendance au jeu. De plus, les auteurs s'interrogent sur la possibilité que ces streams puissent, au contraire, aider certaines personnes à réguler leurs envies de jouer par désensibilisation progressive, comme cela a été observé dans d'autres domaines, tels que les jeux vidéo de "mukbang" (visionnage de personnes mangeant en quantité souvent exagérée). Cependant, aucune recherche empirique n'avait encore exploré ces effets contradictoires des streams de JHA sur les envies de jouer ou sur les comportements de jeu problématique.
Quel est le but de cette recherche ?
L'objectif principal de cette étude est d'examiner les effets psychologiques du visionnage de streams de JHA, en mettant l'accent sur la relation entre la gravité du jeu problématique, les envies de jouer (cravings) et les motivations à réguler ces envies. L'étude vise à déterminer si les visionneurs de streams de JHA présentent des niveaux plus élevés de gravité du jeu problématique, ainsi que des caractéristiques psychologiques comme les envies de jouer et la propension à l'ennui, par rapport aux non-visionneurs. De plus, elle explore comment les visionneurs utilisent les streams pour réguler leurs envies de jouer, et si la réactivité aux stimuli de jeu (cue reactivity) dépasse ces motivations de régulation. Enfin, l'étude examine les réponses affectives associées à des événements spécifiques des streams, tels que les paris à enjeux élevés, les gains de jackpots et les pertes lourdes, pour comprendre comment ces moments influencent les comportements de jeu et les émotions des spectateurs.
Cette recherche vise à combler un vide dans la littérature sur les impacts psychologiques des streams de jeux de hasard, tout en contribuant à une meilleure compréhension des mécanismes sous-jacents au jeu problématique.
Comment les chercheurs ont-ils fait pour répondre à cet objectif ?
Les auteurs ont réalisé deux études distinctes pour répondre à l’objectif de cette recherche.
Dans la première étude, les auteurs ont examiné si les visionneurs de streams de JHA présentent des niveaux plus élevés de gravité du jeu problématique et d'autres facteurs psychologiques associés, par rapport aux non-visionneurs. Pour ce faire, ils ont recruté des participants via une plateforme en ligne et ont recueilli des données sur la fréquence du visionnage de streams, la gravité du jeu problématique, les envies de jouer, ainsi que la propension à l'ennui. Les participants ont complété des questionnaires spécifiques pour évaluer ces aspects, et des analyses statistiques ont été menées pour comparer les différences entre les visionneurs de streams et les non-visionneurs.
Dans la deuxième étude, les auteurs ont exploré une situation potentiellement paradoxale liée au visionnage de streams de JHA. Ainsi, ils ont examiné comment les spectateurs pourraient être motivés à regarder ces contenus pour réguler leurs envies de jouer, malgré le fait d’être exposés à des stimuli pouvant exacerber ces envies. L'étude se concentre sur la relation entre la gravité du jeu problématique, les envies de jouer et les motivations à réguler ces envies. Les participants ont été recrutés via une plateforme en ligne et ont complété des questionnaires pour évaluer l'ampleur de leurs envies de jouer, leur régulation des envies grâce aux streams, ainsi que les événements spécifiques des streams, tels que les gains de jackpots ou les pertes lourdes, et leurs impacts affectifs. Des analyses statistiques ont été menées pour vérifier si le fait d’être motivé à visionner les stream dans le but de réguler ses envies de jeu atténuaient l'effet des envies accrues de jouer sur la gravité du jeu problématique.
Enfin, les auteurs ont cherché à établir si les envies de jouer sont liées aux réponses émotionnelles suscitées par des événements spécifiques dans les streams, tels que des mises importantes, des gains de jackpot ou des pertes considérables.
Quels sont les principaux résultats à retenir ?
Les résultats de la première étude ont révélé que parmi les 965 personnes qui jouent régulièrement, 23% ont déclaré avoir regardé des streams de JHA au cours de l'année écoulée, tandis que 66% n'ont jamais consommé ce type de contenu. Parmi les visionneurs de streams, 74% ont également affirmé avoir joué avec de l'argent réel avant de regarder des streams de JHA en ligne. Comparés aux non-visionneurs, les visionneurs rapportaient des scores plus élevés en termes de gravité du jeu problématique, des envies de jouer accrues et une propension plus forte à l'ennui. Les analyses ont révélé que les participants masculins, plus jeunes, en emploi à temps plein et célibataires avaient une probabilité accrue d’être des visionneurs de streams de JHA, et que les scores de gravité du jeu problématique et d’intensité des envies de jeu étaient des prédicteurs significatifs de cette tendance.
Les résultats de la deuxième étude ont montré que parmi les 271 visionneurs réguliers de streams de JHA, 92 % avaient récemment parié avec de l'argent réel avant de visionner ces contenus. En moyenne, ces participants affichaient en moyenne des niveaux modérés de gravité du jeu problématique. Les participants ont rapporté regarder en moyenne 3,20 heures de streams par semaine et suivre 3,62 streamers différents. Ils exprimaient des niveaux faibles d’utilisation des streams dans l’intention de réguler leurs envies de jouer et une faible tendance à ressentir des envies de jouer. Une analyse a montré que le niveau de gravité du jeu problématique était significativement lié aux envies de jouer et aux motivations de régulation, bien que ces relations n’aient pas montré de différence significative entre elles. L’interaction entre la gravité du jeu problématique et la motivation de régulation s’est avérée significative, indiquant que pour les visionneurs avec une forte gravité du jeu, les envies de jouer étaient plus élevées lorsque la motivation de régulation était faible, mais diminuaient à des niveaux plus élevés de motivation de régulation. Enfin, des associations significatives ont été trouvées entre les envies de jouer et l’affect associé à certains événements spécifiques des streams, tels que les mises élevées et les gains de jackpots.
Les points clés à retenir
- Les visionneurs de streams rapportent des scores plus élevés de gravité du jeu problématique, des envies de jouer accrues et une propension à l’ennui plus forte.
- Les visionneurs sont souvent des hommes, plus jeunes, en emploi et célibataires.
- Les niveaux de gravité du jeu problématique et les envies de jouer (craving) influencent la probabilité qu'une personne regarde des streams de JHA. Plus ces scores sont élevés, plus il y a de chances que la personne consomme ce type de contenu en ligne.
- Les envies de jouer sont associées à des événements d’intensité émotionnelle plus forte dans le jeu, tels que les gains de jackpots et les mises élevées.
Plus d’informations sur cette recherche :
Raymond Wu, Brett Abarbanel and Luke Clark
Watch and yearn? Effects of watching gambling livestreams on cravings; Journal of Behavioral Addictions, December 2024
Relire nos précédents articles du mois
Plus de 20% des patients suivis pour un trouble addictif (trouble de l’usage de substances ou addictions comportementales) seraient concernés par le TDAH (Trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité). La présence d’un TDAH est associée à un trouble de l’usage de substances plus précoce et plus sévère.
L’impulsivité propre au TDAH constitue un facteur de risque majeur de développer des troubles addictifs, et spécifiquement à la période de l’adolescence où l’impulsivité est souvent exacerbée (favorisant des comportements à risque) et peut s’associer à des désordres émotionnels et des difficultés d’individuation. Le comportement addictif peut constituer une stratégie de gestion des émotions négatives (dysrégulation émotionnelle propre au TDAH) et peut faire office « d’automédication » (exemples : canalisation de l’hyperactivité dans le cadre de la consommation de substances, amélioration des troubles de l’attention grâce aux stimulations proposées par les jeux vidéo).
Quelles sont les conduites à tenir en cas de présence simultanée de TDAH et d’addiction(s) ? Est-ce que cette complexité peut finalement constituer un levier thérapeutique ?
Bien que le trouble du jeu de hasard et d’argent soit un problème majeur dans le monde et que sa prévalence soit en augmentation, il n’existe pas encore de traitement pharmacologique ou en neuromodulation validé pour soigner cette addiction comportementale, notamment du fait de connaissances insuffisantes sur les réseaux cérébraux altérés. Cette étude visait ainsi à explorer les anomalies de certains réseaux cérébraux connus dans les troubles de l’usage de substances chez des patients souffrant de trouble du jeu de hasard et d’argent.
Avec près de 5 milliards de joueurs par jour, et la présence d’éléments immersifs rendus possibles par l’essor des avatars et des mondes virtuels, le jeu vidéo en ligne connait un engouement majeur, sans cesse renouvelé. La connexion qu’un joueur peut entretenir avec son avatar peut apporter des effets positifs comme négatifs, et cette étude explore le risque d’usage problématique des jeux vidéo en ligne en fonction de ce lien entre le joueur et son avatar.
Alors que le lien entre le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et le trouble de l’usage des substances a fait l’objet de nombreuses études scientifiques, une équipe de chercheurs italiens a cherché à établir la prévalence de patients ayant un TDAH associé à une addiction comportementale.
Dans le domaine des troubles liés aux jeux de hasard et d’argent (JHA), le concept de rétablissement (« recovery ») a gagné en importance ces dernières décennies. Cependant, un consensus quant à sa définition fait défaut. Une revue de littérature a donc été menée pour dresser un état des lieux de la recherche sur ce sujet et en identifier les lacunes.
Dans les années 50-60, la recherche sur les psychédéliques était très développée, mais elle fut rapidement arrêtée pour des raisons politiques et juridiques. Depuis les années 90, les recherches ont repris, et, ces 20dernières années, de plus belle encore, grâce aux découvertes dans le domaine des neurosciences mais aussi grâce à des évolutions d’ordre politique et sociétal.
Des chercheurs ont voulu savoir si la thérapie assistée par les psychédéliques dits classiques (LSD, psilocybine et DMT), qui ont prouvé leur efficacité dans le traitement de troubles mentaux (y compris les troubles addictifs) ne répondant pas bien aux traitements habituels, pourrait être envisagée comme traitement à destination des personnes souffrant de troubles addictifs liés aux jeux de hasard et d’argent.
Chaque type de jeu de hasard et d’argent a un potentiel pour générer des dommages (conséquences négatives) différent. Malgré une offre de jeux d’argent en constante évolution et de plus en plus diversifiée, peu d’études ont été menées concernant l’évolution et les tendances des types de jeu ayant le plus de conséquences négatives sur la vie des joueurs et de leurs proches. Des chercheurs de trois pays nordiques ont décidé de se pencher sur la question.
Avec actuellement une prévalence de ces troubles à hauteur de 3 à 6% dans la population générale, et étant 3 à 5 fois plus fréquente chez les hommes que les femmes, une équipe de chercheurs français a publié une revue de littérature d’études effectuées sur les comportements sexuels problématiques afin d’établir si les critères définissant habituellement les troubles liés à l’usage de substances peuvent s’appliquer à ces comportements et ainsi les définir comme relevant de l’addiction.
Cette synthèse présente les principaux résultats à retenir.
Une équipe de chercheurs chinois et américains a fait une synthèse des résultats des études sur le traitement de l’usage pathologique des jeux vidéo sur Internet publiées au cours des dix dernières années, et mis en avant les stratégies à mettre en place dans les futures recherches.
Cette synthèse présente les principaux résultats à retenir.
L’exposition à des contenus liés à la pornographie et les séries télévisées semble induire des distorsions temporelles, sans lien formel démontré avec une utilisation excessive de ces comportements.
La concentration de leptine est plus importante chez les personnes atteintes de troubles du jeu et présentant une dépendance alimentaire.