Comprendre et surmonter l'addiction au travail

Dans un monde où la réussite professionnelle est de plus en plus valorisée, il est facile de se laisser submerger par son travail. Certaines personnes vivent très bien le fait de travailler intensément. Cependant, lorsque la passion pour son travail devient une obsession, cela peut rapidement devenir problématique, avec des niveaux de stress élevés et des conséquences parfois graves pour les personnes concernées par l’addiction au travail et leur entourage.
Qu’est-ce que l’addiction au travail ? A partir de quand faut-il s’inquiéter sur son rapport au travail ? Et quel type de prise en charge existe-t-il ?

La définition de l’addiction au travail

La notion d’addiction au travail, ou « ergomanie », est apparue au début des années 70. Elle est aussi souvent désignée par l’anglicisme « workaholisme », le psychologue américain Wayne Oates souhaitant comparer, à partir des mots « work » (travail) et « alcoholism » (alcoolisme), le rapport pathologique d’une personne à son travail avec la dépendance à l’alcool.
Cette addiction comportementale désigne un engagement excessif dans son activité professionnelle, au détriment de sa vie extraprofessionnelle. A l’heure actuelle, l’addiction au travail n’est pas reconnue comme un trouble addictif à part entière par les grandes classifications diagnostiques (CIM-11, DSM-5). Pourtant, l’addiction au travail partage des points communs avec les troubles addictifs reconnus, comme la perte de contrôle sur le comportement, avec une envie (« craving ») de continuer à travailler très forte et la poursuite du comportement en dépit des dommages (conséquences négatives).
Au-delà du nombre d’heures passées à travailler, c’est la relation avec le travail et le sens donné au travail qui est important. Ainsi, comme dans d’autres troubles addictifs, la personne souffrant d’addiction au travail ne travaille plus uniquement pour atteindre des objectifs liés à son activité professionnelle, mais aussi pour procurer du plaisir via un certain niveau de stimulation ou au contraire pour atténuer des émotions négatives (échapper à des soucis personnels, combler une vie jugée ennuyeuse, apaiser des sentiments d’anxiété ou de dépression, etc.). Ainsi, la personne souffrant d’addiction au travail ne maitrise plus son rapport au travail, le travail étant devenu sa priorité absolue et sa relation au travail étant totalement disproportionnée par rapport aux objectifs professionnels attendus.

Les symptômes de l’addiction au travail

Le critère du nombre d’heures passées à travailler n’est à lui seul pas suffisant pour définir l’addiction au travail, certains salariés pouvant par exemple travailler davantage dans le but de gagner plus ou en période de rush. Ainsi, les signes qui peuvent donner l’alerte sont les suivants :

  • La personne ne semble pas réaliser qu’elle travaille de façon anormale (quand le travailleur impliqué sain s’en rend compte, lui).
  • Présence de symptômes physiques (douleurs musculaires, migraines, etc.).
  • Négligence de sa propre santé (peu d’heures de sommeil par exemple).
  • Désir intense de satisfaction professionnelle.
  • La pose de jours de congés est sans cesse repoussée, les pensées liées au travail sont permanentes, même en période de repos. La personne ressent un fort sentiment de culpabilité quand elle ne travaille pas.
  • Perfectionnisme : la personne ne s’arrête jamais de travailler, car, selon elle, son travail peut toujours être amélioré, ce qui peut conduire à une forme d’anxiété de performance.
  • La personne n’arrive pas à déléguer, tolérant mal « l’incompétence » (perçue) des autres.
  • Négligence de la vie familiale et amicale, avec des reproches de l’entourage. Les relations sont perturbées par un manque de temps pour les entretenir.

En cas de doute, il vous est possible de réaliser un auto-test en ligne : www.addictaide.fr/pro/parcours/wart/

Les causes profondes de l’addiction au travail

Les addictions n’ont que très rarement une cause unique. Comprendre les raisons pour lesquelles l’addiction au travail s’est installée est essentiel pour avancer.

  • Facteurs environnementaux : Dans la culture occidentale, la société valorise souvent ceux qui réussissent professionnellement, renforçant la croyance que travailler sans relâche est un atout. Comparativement à d’autres addictions comportementales, l’addiction au travail est ainsi l’addiction perçue la moins négativement, comme si elle était une dépendance « désirable », ce qui peut engendrer des problèmes de diagnostic, voire même de prise en charge. Il peut notamment être difficile de faire la différence entre un travailleur fortement impliqué dans son travail et un autre qui souffrirait d’addiction au travail. D’autre part, la culture d’entreprise joue également un rôle non négligeable si elle propose un environnement « toxique » à ses salariés : une pression constante sur la qualité du travail et des deadlines difficilement tenables ne font qu’accentuer le risque d’addiction. Le développement des nouvelles technologies et du télétravail ont par ailleurs facilité l’addiction au travail. En effet, l’hyperconnexion empêche les individus susceptibles de devenir dépendants de se couper de leur activité professionnelle. Enfin, certains milieux professionnels ou postes avec des exigences élevées (fortes responsabilités, charge de travail élevée, ou encore horaires imprévisibles ou très étendus) peuvent également être particulièrement à risque : agriculture, finance, milieu médical, poste de cadre ou de direction.
  • Facteurs individuels : Certaines personnes cherchent dans le travail la reconnaissance qu’elles ne trouvent pas ailleurs. Une personne ayant une faible estime d’elle-même et voyant le travail comme la seule manière de s’accomplir a davantage de risques de développer d’une addiction au travail. Le fait d’avoir peu de relations sociales et de loisirs peut également inciter un individu à se réfugier dans son travail, jusqu’à l’addiction. Certaines personnes peuvent ainsi être angoissées à l’idée de se retrouver seules avec elles-mêmes et le fait de se concentrer sur le travail leur permet par ailleurs de fuir le quotidien. Enfin, certaines personnalités sont plus enclines à développer une addiction au travail, notamment celles caractérisées par un besoin de contrôler l’environnement pour en maîtriser l’incertitude, ou par un haut niveau de perfectionnisme et des attentes irréalistes (perfection incompatible avec le droit à l’erreur).

Les risques et les conséquences sur la santé et la vie sociale

Contre toute attente, le salarié qui travaille à l’excès n’est pas forcément performant car ses comportements de travail peuvent être contre-productifs : troubles du fonctionnement (par exemple endormissement sur le lieu de travail), épuisement professionnel et dépression. Ainsi, le travail n’est pas forcément associé à l’épanouissement personnel, et l’addiction au travail est corrélée négativement à la satisfaction au travail et au bonheur.
Le salarié qui souffre d’addiction à son travail encourt des risques sociaux, psychologiques et physiques.
Sur le plan social, l’isolement est au centre des répercussions de l’addiction, la personne se coupant progressivement de ses relations extra-professionnelles au profit de son travail. Sous tension, elle peut par ailleurs parfois devenir agressive avec ses collègues qui n’ont pas le même rythme qu’elle.
Sur le plan psychologique, le nombre d’heures travaillées cumulées aux problèmes de sommeil et au manque de repos peuvent mener à un épuisement professionnel. Aussi appelé burn-out, cette maladie professionnelle est de plus en plus répandue. Non traitée, elle peut avoir des conséquences graves, y compris la dépression. Poussée à l’extrême, l’addiction au travail peut amener à des conséquences gravissimes, notamment la mort. C’est ce que les Japonais appellent le “karoshi” (littéralement “mort par dépassement du travail”), lorsqu’un employé meurt subitement par arrêt cardiaque, AVC ou suicide du fait d’une surcharge de travail ou d’un stress au travail trop important.
Sur le plan physique, la personne souffrant d’addiction au travail s’expose aux risques causés par l’excès de stress doublé du manque de repos (cf. plus haut). Par ailleurs, elle a souvent tendance à négliger sa santé, et s’expose donc à des pathologies aggravées du fait d’un diagnostic tardif. Il faut également noter que l’addiction au travail peut favoriser la prise de substances addictives (cannabis, cocaïne, tabac, alcool, médicaments) utilisées pour « tenir le coup », ce qui peut venir aggraver la situation de dépendance. Voulant en faire toujours plus et mieux, la personne souffrant d’addiction au travail s’inscrit dans un cercle vicieux dans lequel sa charge de travail augmente, créant encore plus de stress et l’obligeant à multiplier les heures de travail, etc.

Comment soigner une addiction au travail ?

Le traitement de l’addiction au travail est souvent tardif en raison du déni des personnes atteintes et du fait que cette affection est encore mal connue. La première intervention de soin est souvent médicale, notamment dans le cadre d’une consultation avec son médecin généraliste ou un médecin du travail. Devant certains signes évocateurs, la présence éventuelle d’une addiction au travail sera évaluée, et l’intensité de celle-ci pourra être mesurée à l’aide de tests ou de questions ciblées. Une prise en charge multidisciplinaire avec l’aide d’un médecin addictologue et d’un psychologue peut être proposée. Les thérapies comportementales et cognitives (TCC) sont particulièrement utilisées dans l’addiction au travail et dans les addictions en général. Elles ont l’avantage d’être brèves et de donner de bons résultats. Elles reposent sur plusieurs axes : comportemental (modifier le comportement), cognitif (restructurer les fausses croyances) et émotionnel (gérer des émotions). Cette thérapie (individuelle ou en groupe) consiste à aider le patient à apprendre à fixer des limites dans ses horaires de travail, prendre des pauses régulièrement et poser des congés, éteindre son téléphone professionnel et ne pas consulter ses mails en période de repos par exemple. Il est également possible d’apprendre des techniques de relaxation permettant d’accompagner en douceur ces changements de comportement. Il est important également de réfléchir à ce qui est important en dehors du travail, cultiver d’autres engagements que ceux pris dans le cadre du travail, afin de retrouver du plaisir à faire autre chose.
Enfin, les entreprises elles-mêmes ont un rôle à jouer, à travers la prévention des risques psycho-sociaux, et l’information aux salariés sur les risques d’accident du travail liés à un travail trop intensif. Les outils numériques utilisés sans mesure ayant conduit à l’effondrement de la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle, certaines entreprises ont fait le choix de couper l’accès à la messagerie professionnelle à partir d’une certaine heure ou de fermer les bureaux à une heure précise. Les managers, parce qu’ils sont des figures d’autorité, sont les vecteurs de la culture d’entreprise. Ils ont ainsi un rôle majeur pour relayer l’importance de l’épanouissement personnel trouvé par un équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

Conclusion

L’addiction au travail peut sembler anodine au départ, mais elle peut rapidement devenir un problème grave pour la santé mentale et physique. Surmonter l’addiction au travail est un processus qui demande de la patience et de la persévérance. Chaque petit changement peut contribuer au bien-être et aider à rétablir un équilibre entre la vie professionnelle et personnelle. En suivant ces conseils et en restant à l’écoute de vos besoins, vous pourrez progressivement trouver une harmonie entre vos ambitions professionnelles et votre santé personnelle. Il est important de se rappeler que la réussite professionnelle ne doit pas être la seule source de satisfaction dans la vie, et que le bien-être personnel doit également être pris en compte.

Sources